Le mot de la semaine

« Regardez-y de près, et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu'il n'y a point, et qu'il ne peut y avoir d'êtres libres ; nous ne sommes que ce qui convient à l'ordre général, à l'organisation, à l'éducation et à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement [...]. Ce qui nous trompe, c'est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l'habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le libre. »

Diderot
, Lettre à Landois, 29 juin 1756
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La tolérance religieuse en France : un combat d'aujourd'hui, le métal extrême.



Tolérance religieuse et musique extrême.


Nous pourrions croire, dans une société laïque telle que la nôtre, que la question de la tolérance religieuse n’est plus tout à fait d’actualité ; ou du moins qu’elle ne concerne plus que quelques domaines en particulier. On invoque souvent cette notion quand il est question de l'Islam en France, par exemple. Seulement, nous constatons que cette question demeure tout à fait pertinente dans certains secteurs culturels. Je choisis ici d'évoquer un fait divers dont on n’a pas beaucoup entendu parler : il s’agit des pressions exercées par l’AGRIF (1) contre la venue d’un groupe à un festival de métal de Lorraine (2) et demandant la suppression du festival en lui-même. Même si le mot de « tolérance » n’apparaît pas tel-quel dans le texte que j’ai choisi de citer ici, je considère que cette idée est tout à fait centrale dans ce débat qui est loin de se limiter à ce seul exemple.

Pour en venir au discours tenu par cette association, il est intéressant de noter le conflit qui réside entre leurs revendications officielles (lutte contre ce qui est ressenti comme de l’intolérance) et leurs actions qui sont elles-mêmes des actions d’intolérance (le fait de réclamer l’interdiction d’une manifestation culturelle). C’est ce qui transparaît dans la lettre que nous citons : il s’agit de décrire la musique extrême et les discours tenus par certains musiciens comme racistes, dangereux, anti-chrétiens et de justifier par là les procès et les pressions exercées sur l’organisation du festival. Le texte est parsemé d’amalgames et d’hyperboles visant à stigmatiser un pan de la création musicale qui paraît marginal et reste assez mal connu, mouvement artistique déjà malmené par les médias en général : « groupes de haine anti-judéo-chrétienne aux confins du nazisme et du satanisme ». On sent qu’il y a une volonté de susciter la peur, d’inquiéter les autorités et le citoyen moyen ; dans un climat national où l’accent est mis sur la sécurité, le fait de parler de « banalisation de la culture de haine » n’est sans doute pas anodin.

Ces discours ont été, comme on peut s’en douter, très mal vécus par la « communauté métal » (si communauté il y a …) qui a ressenti ces accusations comme une agression voire une remise en cause de ses libertés fondamentales. Il s’agit d’une communauté qui, pour sa grande majorité, connaît très bien les messages des groupes de musique extrême et qui parvient à faire le tri entre ce qui appartient au domaine du spectacle (3) et les véritables revendications idéologiques, d’ailleurs moins fréquentes et rarement cautionnées par les spectateurs. Ajoutons à cela que les pressions de l’AGRIF ont mené à l’annulation ou au mauvais déroulement de certains concerts et festivals. Il faut imaginer ce que cela peut représenter pour l’amateur de métal, dans un contexte où les concerts de musique extrême sont déjà rares en France, et où les artistes étrangers ne se produisent que lors de dates exceptionnelles. De plus, la personne qui écoute ce genre de musique est souvent en situation de conflit avec la société en général, qui rejette et stigmatise l’individu : il suffit de voir les reportages télévisés qui prétendent avertir les gens des dangers de ces courants musicaux, les reliant systématiquement à différentes sectes et idéologies extrémistes ; message relayé par les discours religieux dont nous parlons ici. Cette peur et cette incompréhension qui mènent rapidement à l’intolérance sont le résultat d’une ignorance de ce qu’est la réalité du métal (4) : vertu catharsique de la violence musicale, messages essentiellement provocateurs sans grande portée idéologique. Cette situation de conflit me semble importante, d’autant plus qu’elle ne se limite pas à un seul fait divers : par exemple, des « Jéricho de prières » avaient été organisés autour du site du Hellfest, autre festival de musique métal en France, défini par le journal catholique L’univers comme « une sorte de convention satanique … avec des stands. »

Ce conflit qui existe entre ces associations et le milieu musical est assez inquiétant : la situation semble figée dans une atmosphère de conflit frontal, et les discours proférés d’un côté comme de l’autre deviennent parfois violents. Chaque camp prétexte l’intolérance de l’autre pour fonder sa propre intolérance et justifier un propos peu nuancé. La situation est très complexe puisqu’elle repose en partie sur une incompréhension : révolte des amateurs de musique face aux attaques et aux amalgames des discours religieux, incompréhension des non-initiés face au côté provocateur et grand-spectacle de ce courant musical. Cela crée une situation d’affrontement, où chacun campe fermement sur ses positions, situation dans laquelle tout dialogue semble à première vue impossible. Moi-même adepte de concerts et festivals de ce type, et bien que révoltée par les accusations lancées aux amateurs de métal, j’avais été surprise par la violence des propos qui cherchaient à répondre à cette lettre de l’AGRIF : j’en étais venue, face à l'attitude des deux camps, à réfléchir sur la question de la tolérance. Il me semble que cette situation constitue un écho intéressant de l’histoire de la question de tolérance religieuse en France : les discours cités relèvent en grande partie du fantasme (thème de la « chasse aux sorcières » et du combat contre le satanisme), écho certes affaibli mais qui fait référence à toute une tradition des discours partisans en religion.


Lettre de la part de l’AGRIF contre le Metal Therapy Fest et la présence
du groupe « Impaled Nazarene » à ce festival.


« Message de Bernard Antony à
Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur
Pascal Clément, garde des Sceaux
Docteur Kieffer, député-maire d’Amneville

Nous attirons ce jour votre attention sur l’organisation par l’association “ Evolution Prod ” d’un festival à Amneville (Moselle) scandaleusement financé par le Conseil Régional, le samedi 15 avril, veille de Pâques, au cours duquel se produira le groupe “ The Impaled Nazarene ” ce qui se traduit sans mal par “ Le Nazaréen empalé ”.

Il s’agit là d’un de ces groupes de haine anti-judéo-chrétienne aux confins du nazisme et du satanisme dont on sait combien l’influence morbide peut être cause d’actes criminels dont le pire, à ce jour, fut, il y a une dizaine d’années, l’assassinat d’un prêtre en Alsace. L’AGRIF, que je préside, engage ce mardi 19 avril, à 10 heures 30, devant le tribunal de Metz l’action en référé qui s’impose pour tenter d’interdire pareille banalisation de la culture de haine.

Nous attirons votre attention sur le fait que les pouvoirs publics auraient déjà dû prendre les mesures qui s’imposaient. Nous souhaitons que vous puissiez agir au plus vite en ce sens. »



Notes :
(1) Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l'Identité Française et chrétienne
(2) Avec victoire : l’organisation a du demander au groupe d’annuler cette date.
(3) Le côté « Grand-Guignol » de la musique métal, en somme.
(4) En dehors de ce qui est accessible à tout un chacun, en un mot ce qui est présenté dans les médias.

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