Le mot de la semaine

« Regardez-y de près, et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu'il n'y a point, et qu'il ne peut y avoir d'êtres libres ; nous ne sommes que ce qui convient à l'ordre général, à l'organisation, à l'éducation et à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement [...]. Ce qui nous trompe, c'est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l'habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le libre. »

Diderot
, Lettre à Landois, 29 juin 1756
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A propos du Challenge ABC 2009 et de la prétendue interdiction de publier ses avis avant 2009.


A tous(toutes) les challengeurs(euses) 2009 :

On peut lire, sur le blog du Challenge ABC 2009, cette étrange remontrance adressée à une personne qui a déjà donné une chronique d'un ouvrage de son challenge alors que, ô malheur, nous ne sommes pas encore en 2009 ! Voici la remontrance en question : "J'ai dit qu'on pouvait, si vraiment c'était trop dur, commencer à lire ... mais je n'ai pas dit que l'on pouvait publier son avis avant 2009 ..." L'auteur en est l'organisatrice de cette année : Miss Giny, à qui j'aimerais adresser ce message :

Miss Giny, je ne vois vraiment pas en quoi tu as le droit de décider s'il est légitime de publier ou non son avis avant 2009.

Le challenge ABC est avant tout un défi qu'on se lance à soi-même : en tant que tel, on peut le commencer et publier ses avis quand on veut, où l'on veut, sur les ouvrages que l'on veut. Si on le commence mi-décembre, le défi peut être tout simplement de le finir avant mi-décembre de l'année suivante - ou pas - pour rester dans la limite d'une année.

Le fait d'organiser ne donne aucune légitimité à édicter des "lois" ou des "règles" : il s'agit simplement de réunir en un même endroit toutes les personnes qui se lancent ce même défi, afin de rendre possible émulation, découverte, et soutient mutuel. Tu n'es pas Dieu, et c'est heureux pour les challengeurs : ce n'est pas un maître que les internautes viennent chercher ici. Ce serait une démarche idiote et masochiste, qu'il serait idiot de faire comme de croire possible.

Challengeurs(euses), si vous m'en croyez, lisez et publiez dès le moment qui vous convient : votre challenge est un pacte de lecture entre vous et vous, personne n'a d'interdit à formuler, à part vous, sur votre propre challenge - et pas sur celui des autres.

Aristobullement,

Antisthène Ocyrhoé.

Réflexions sur la forme poétique du Sonnet.


Je me permets de soumettre, à titre de curiosité et à qui voudra les lire, deux textes portant sur le sonnet. Je le fais dans le but d'élargir les réflexions ici ébauchées concernant rythme, contraintes des règles, et forme du sonnet.


Le premier texte que je voudrais citer est un extrait du Petit traité de poésie française, publié en 1872 par le parnassien Théodore de Banville, dans lequel le poète soumet quelques observations sur le sonnet :

" A propos du Sonnet, méditer avec grand soin les observations suivantes :

1. La forme du Sonnet est magnifique, prodigieusement belle, - et cependant infirme en quelque sorte ; car les tercets, qui à eux deux forment six vers, étant d'une part physiquement plus courts que les quatrains qui à eux deux forment huit vers, - et que d'autre part semblant infiniment plus courts que les quatrains, - à cause de ce qu'il y a d'allègre et de rapide dans le tercet et de pompeux et de lent dans le quatrains ; - le Sonnet ressemble à une figure dont le buste serait trop long et dont les jambes seraient trop grêles et trop courtes. Je dis ressemble, et je vais au-delà de ma pensée. Il faut dire que le Sonnet ressemblerait à une telle figure, si l'artifice du poète n'y mettait bon ordre. [...] L'artifice doit donc consister à grandir les tercets, à leur donner de la pompe, de l'ampleur, de la force et de la magnificence [...] il s'agit d'exécuter ce grandissement sans rien ôter aux tercets de leur légèreté et de leur rapidité essentielles. [...]

2. Le dernier vers du Sonnet doit contenir un trait - exquis, ou surprenant, ou excitant l'admiration par sa justesse et par sa force.
Lamartine disait qu'il doit suffire de lire le dernier vers d'un Sonnet ; car, ajoutait-il, un Sonnet n'existe pas si la pensée n'en est pas violemment et ingénieusement résumée dans le dernier vers.
Le poète des Harmonies partait d'une prémisse très juste ; mais il en tirait une conclusion absolument fausse.
Oui, le dernier vers du Sonnet doit contenir la pensée du Sonnet tout entière. - Non, il n'est pas vrai qu'à cause de cela il soit superflu de lire les treize premiers vers du Sonnet. [...]
Ce qu'il y a de vraiment passionnant dans le Sonnet, c'est que le même travail doit être fait deux fois, d'abord dans les quatrains ensuite dans les tercets, - et que cependant les tercets doivent non pas représenter les quatrains mais les éclairer, comme une herse qu'on allume montre dans un décor de théâtre un effet qu'on n'y avait pas vu auparavant.
Enfin, un Sonnet doit ressembler à une comédie bien faite, en ceci que chaque mot des quatrains doit faire deviner - dans une certaine mesure - le trait final, et que cependant ce trait final doit surprendre le lecteur, - non par la pensée qu'il exprime et que le lecteur a devinée, - mais par la beauté, la hardiesse et le bonheur de l'expression. C'est ainsi qu'au théâtre un beau dénouement emporte le succès, non parce que le spectateur ne l'a pas prévu, - il faut qu'il l'ait prévu, - mais parce que le poète a revêtu ce dénouement d'une forme plus étrange et plus saisissante que ce qu'on pouvait imaginer d'avance. "

Bien sûr, ce qui s'exprime ici, c'est une sorte d'idéal de maitrise, d'harmonie et de cohérence dans la composition. Il ne faut pas oublier que Banville est un parnassien : on connait l'attrait de cette école pour la forme pure. Je cite ce texte malgré tout, car, bien qu'on ait sûrement jamais vu de sonnet correnpondant exactement à la forme souhaitée par Banville, et qu'il existe de très nombreuses variations formelles autour des règles de composition du Sonnet, il me semble que ces réflexions sont intéressantes à considérer pour comprendre combien cette forme brève permet un travail poétique virtuose et dense, dont le but, malgré tout, n'est pas l'hermétisme mais le plaisir d'un lecteur qu'il s'agit de surprendre agréablement par la virtuosité et la richesse de la composition.


Le deuxième texte que je voudrais citer est un sonnet justement. Un sonnet tout à fait régulier (14 vers, en alexandrins classiques, répartis en 2 quatrains + 2 tercets, suivant le schéma de rimes traditionnel : abba abba ccd eed), mais toutefois particulier en ce qu'il traite... de la composition du Sonnet ! Il s'agit d'une métaphore de la création poétique et d'un plaidoyer en faveur de la contrainte formelle : l'inspiration (la Muse) est comparée à la femme, et le travail du poète élaborant son Sonnet à l'art de l'habilleur qui revêt la femme d'un corset, afin de l'embellir et de la mettre en valeur. Au début du texte, les règles de la poésie sont implicitement comparées à une torture par la métaphore du "corset de Procuste", (référence au "lit de Procuste", instrument de torture légendaire utilisé par le Brigand du même nom). Au finale, le poème entend faire la démonstration que les règles ne sont pas une torture, mais un artifice destiné à rendre plus belle l'inspiration poétique, en la moulant dans une forme qui en fait ressortir la beauté sans en altérer la richesse : "Avec art maintenant dessinons sous ces plis / La forme bondissante et les contours polis. / [...] Rien de moins dans le cœur, rien de plus sur le corps." Un peu plus tôt dans le texte, le poète semblait déjà nous dire que l'écriture d'un Sonnet n'est pas non plus une torture pour le créateur, lequel voit dans la contrainte formelle une sorte d'amusement, de défi : "J'aime ces doux combats, et je suis patient." On notera par ailleurs, pour faire le lien avec la citation précédente, que la comparaison de la femme avec la Muse, si on la devine tout au long du texte, ne se dévoile que dans le dernier vers.

Le Sonnet

Je n'entrerai pas là, - dit la folle en riant, -
Je vais faire éclater ce corset de Procuste !
Puis elle enfle son sein, tord sa hanche robuste,
Et prête à contresens un bras luxuriant.

J'aime ces doux combat, et je suis patient.
Dans l'étroit vêtement qu'à sa taille j'ajuste,
Là serrant un atour, ici le déliant,
J'ai fait passer enfin tête, épaules, et buste.

Avec art maintenant dessinons sous ces plis
La forme bondissante et les contours polis.
Voyez ! la robe flotte et la beauté s'accuse.

Est-elle bien ou mal en ces simples dehors ?
Rien de moins dans le coeur, rien de plus sur le corps,
Ainsi me plaît la femme, ainsi je veux la Muse.

Joséphin Soulary, Sonnets, poèmes et poésies (1864).

Voilà. Ces textes sont assez anciens et l'on est pas tenu d'être d'accord avec eux (Banville est sans doute "trop" exigeant par exemple), mais il me semble que ce sont des objets de réflexions intéressants pour qui voudrait écrire des Sonnets : quelle que soit la façon dont on le compose (forme régulière ou non), il est toujours bon de mesurer au départ combien cette forme est porteuse de potentialités poétiques. Je finirai en citant une autre référence poétique, Baudelaire , qui synthétise assez bien les apports des deux précédents textes : "Quel est donc l'imbécile [...] qui traite si légèrement le Sonnet et n'en voit pas la beauté pythagorique ? Parce que la forme est contraignante, l'idée jaillit plus intense. Tout va bien au Sonnet, la bouffonnerie, la galanterie, la passion, la rêverie, la méditation philosophique. Il y a là la beauté du métal et du minéral bien travaillés. Avez-vous observé qu'un morceau de ciel, aperçu par un soupirail, ou entre deux cheminées, deux rochers, ou par une arcade, etc., donnait une idée plus profonde de l'infini que le grand panorama vu du haut d'une montagne ? " (lettre à A. Fraisse, 18 février 1860.)

Antisthène Ocyrhoé.