Le mot de la semaine

« Regardez-y de près, et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu'il n'y a point, et qu'il ne peut y avoir d'êtres libres ; nous ne sommes que ce qui convient à l'ordre général, à l'organisation, à l'éducation et à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement [...]. Ce qui nous trompe, c'est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l'habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le libre. »

Diderot
, Lettre à Landois, 29 juin 1756
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Swan Lake de Matthew Bourne, un ballet romantique ?


J'aimerais commencer cet article par un point de philosophie hégélienne. Pourquoi ? Car Hegel, à la fin de son Esthétique, a théorisé la "mort de l'Art" : évoquer ce point me paraît intéressant pour envisager ensuite le devenir actuel de la danse, puis, plus précisément, le ballet de Matthew Bourne. Qu'est-ce que la mort de l'Art pour Hegel ? Il faut signifier, pour commencer, que cette idée de "mort" vient de la traduction française, alors que l'allemand "Auflösung" appelle plutôt l'idée d'une dissolution. Bien entendu, Hegel ne nous dit pas qu'il n'y aura plus de compositeurs, de peintres, de sculpteurs, de poètes, etc. mais simplement que l'art n'est plus le centre de notre culture, et que ce n'est plus lui qui véhicule principalement nos valeurs d'existence. Si l'Art a perdu de son prestige social, nous dit encore Hegel, c'est que notre monde s'est désenchanté : il n'est plus gouverné par des valeurs religieuses, métaphysiques, mais, au contraire, par les valeurs pratiques que sont l'économie, le travail, les loisirs, etc. Donc, si l'Art est en voie de dissolution, c'est qu'il a perdu son support principal avec le déclassement - si l'on peut dire - des valeurs religieuses. L'art ne sera plus porteur de valeurs, nous l'avons dit, mais qu'en sera-t-il alors ? Le philosophe prophétise que l'art va se réfugier dans les voies du formalisme et du subjectivisme de plus en plus poussé. Autrement dit, du classique toujours plus classique et technique d'un côté, du contemporain toujours plus hermétique et onaniste de l'autre.

Deux siècles plus tard, qu'en est-il de la prophétie hégélienne ? Il faut avouer que le philosophe a été assez bon diagnosticien : aujourd'hui, on ne voit plus de poètes vivre de leur poésie comme ce pouvait parfois être le cas au XIXe siècle par exemple. Toutefois il serait faux de dire que l'Art n'a plus un rôle central dans notre société. Les Arts que connaissait Hegel semblent effectivement avoir suivi l'itinéraire qu'il leur avait tracé, mais de nouveaux "Arts" sont apparus qui ont pris une place centrale. Songons au cinéma - bien que l'on pourrait s'interroger sur le statut artistique des films dont on nous assomme dans les box-offices.

Revenons à la danse. Je prends en quelque sorte la suite de l'article publié il y a peu par ma collègue, Nibelheim. La danse semble avoir pleinement réalisé la prophétie de l'idéaliste allemand. La production de ballet a pratiquement cessé pendant un laps de temps assez conséquent, et l'on se contentait de rejouer toujours les mêmes classiques. Aujourd'hui encore, les classiques semblent souvent mis en scène de manière toujours plus classique, sous l'oeil vigilant d'un certain nombre de puristes, tandis que les ballets contemporains frôlent parfois l'hermétisme le plus complet et laissent sceptiques même les spectateurs les plus ouverts. Si l'on reste à ce niveau de généralité, Hegel semble avoir eu raison, et l'on regrettera qu'il n'ait pas prophétisé les numéros du prochain tirage de l'Euromillion. Cependant, comme je viens de le spécifier, il s'agit d'une généralité, pour ne pas dire d'un préjugé. Bien évidemment, on met énormément en scène les sempiternels mêmes classiques, et il existe des chorégraphies contemporaines absolument déstabilisantes, mais ce n'est pas pour autant la règle. Une voie intermédiaire existe, qui renouvelle la danse, la fait sortir du monolithisme classique, tout en évitant l'écueil de l'hermétisme, parvenant ainsi à rendre le spectacle plaisant et accessible même aux non-initiés - dont je fais d'ailleurs partie. Parfois, c'est en reprenant des histoires connues, des thèmes de ballets anciens que se fait le renouvellement ; ainsi, j'ai vu il y a peu une adaptation moderne de Roméo et Juliette qui était tout à fait plaisante. C'est également le cas du ballet de M. Bourne, Swan Lake.

Mis en scène en 1995, il connait encore un franc succès dans le monde de la danse puisqu'il était encore joué l'an dernier à Paris. Comme l'indique le titre, il reprend le célèbre ballet russe Le Lac des Cygnes, mais en le modernisant fortement, au point qu'il ne serait sans doute pas exagéré de dire qu'il se l'approprie totalement ; si les grandes lignes de l'histoire semblent conservées, l'ensemble est absolument différent, beaucoup moins classique et beaucoup plus romantique. Mais, pour éviter les malentendus, il convient que je précise en quoi. Quand je parle de romantisme, je l'entends de deux façons distinctes pour ce ballet, et aucune des deux ne correspond au sens qu'a pris ce mot aujourd'hui, ni même à tout ce que la notion recoupait dans le domaine artistique et littéraire du XIXe siècle. Romantique ce ballet, d'abord dans la définition que nous en donne Stendhal dans Racine et Shakespeare : le romantisme, selon lui, est de montrer au public un spectacle qui correspond aux goûts de l'époque, par opposition au classique, qui montre au public ce qui flattait le goût de ses arrières grand-parents. Romantique encore dans l'idée de mélange des genres, d'alliance du sublime et du grotesque, à l'instar de ce que théorisait Victor Hugo dans la préface de son Cromwell, par opposition aux genres figés que sont le tragique, toujours sérieux, méprisant le présent, le contingent, et traitant du moral, de l'universel - d'où le recours aux grandes figures mythologiques ; et le comique, refusant le grand sérieux, ridiculisant les moeurs et les vices de la société dans laquelle il s'inscrit. Le ballet de M. Bourne se moque du sérieux et du monolithisme des sujets et des chorégraphies classiques, et cela s'inscrit profondément dans son ballet par une mise en abîme particulièrement comique et, par-là même, caustique (sur ce point, je revoie à l'article de Nibelheim). Avec cette mise en scène, il démontre magistralement que l'on peut encore faire de la danse qui parle à tout le monde, que l'on peut encore impressionner par le spectacle, créer des scènes poignantes... Son ballet est véritablement destabilisant, de par son jeu entre réel et hallucination, marqué scéniquement par un jeu de lumières très habille. Nous ne sommes plus dans le mythologique, et il me semble que c'est un véritable coup de force d'avoir réussi à faire de certains passages, l'illustration scénique de ce qui semble, en définitivement, se dérouler à l'intérieur de la tête d'un des personnages - en l'occurence, le prince. Ces tensions du personnage, submergé par un imaginaire délirant, permettent de passer, comme je l'avançais plus haut, du grotesque au sublime : les cygnes sont d'abord représentés de manière un peu ridicule, leur chorégraphie semblant mimer la marche de l'animal qui, comme chacun sait, n'est plus très gracieux dès qu'il quitte l'eau ; et ce sont ces mêmes cygnes, pourtant, qui deviendront véritablement inquiétants dans le dernier acte, aidés par un jeu de lumière très sombre et très froid.

Ce ballet a été pour moi source d'une émotion esthétique très forte. Il me semble que si la danse veut élargir son public, c'est dans cette direction qu'il faut travailler. Cet art de ne pas se prendre trop au sérieux, et donc de faire rire le public, voire de rire avec lui à travers certains clins d'oeil parodiques, la puissance d'une mise en scène qui parvient à sortir du giron classique sans en renier les bases, et à user de l'elasticité du contemporain sans aucunement tomber dans l'hermétisme - car, à aucun moment le ballet n'est abscons, et l'on comprend toujours très bien ce que l'on voit, même quand on est dans l'imaginaire délirant du prince - voilà, il me semble, de quoi permettre une révolution copernicienne du monde de la danse, et, pourquoi pas, faire mentir Hegel. Le succès qu'a obtenu ce ballet, et qu'il obtient encore, semble d'ailleurs un bon indicateur de l'efficacité de ce type de mise en scène.


Antisthène Ocyrhoé.

Les Confessions.


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Quoi de plus approprié qu'une représentation de Saint Augustin
pour illustrer une série de profondes et sincères révélations ?


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Me voici victime à mon tour de l'implacable tag. Et cela grâce aux soins de ma chère co-scriptrice, Nebelheim ; à moi, donc, de jouer le jeu de cette étrange - mais amusante - chaîne. Si j'ai bien compris le principe, avant de faire six révélations de la plus haute importance concernant ma personne, il me faut rappeler en quoi consiste ce jeu. Les règles sont simples, les voici :

  • Écrire le lien de la personne qui nous a tagué
  • Préciser le règlement sur son blog
  • Mentionner six choses sans importance sur soi
  • Taguer six autres personnes en mettant leur lien
  • Prévenir ces personnes sur leur blog respectif
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Révélations :

  1. J'ai des cornes. Vous ne me croyez pas ? En vérité, moi-même, je suis resté longtemps sans le savoir, mais la lecture et la méditation des philosophes mégariques a mis fin à mon ignorance sur ce point capital. Mais je n'affirme pas, je prouve : J'ai ce que je n'ai pas perdu. Or, je n'ai pas perdu de corne. Donc, j'ai des cornes. Et dire que j'ai failli ne jamais m'en rendre compte ! Merci Eubulide de Mégare !

  2. Selon les chiffres, un homme est écrasé toutes les 30 secondes à New York. Aujourd'hui, grâce à cette chaîne, il est grand tant que le monde apprenne que cet homme, en fait, c'est moi. Je me permets de signifier, à ce propos, que cela est très néfaste pour la santé, donc si quelqu'un voulait bien me suppléer, je lui en saurai un gré infini.

  3. Je fais de façon fréquente des rêves particulièrement étranges, dans lesquels les méchants s'avèrent souvent être des chinois, et où apparait de manière récurrente la sinistre figure du philosophe allemand Arthur Schopenhauer. Si un expert en interprétation des rêves passe par ici...

  4. Je déteste les chips, car cela rend les mains atrocement grasses ! Voilà qui est dit. De plus, cela ne nourrit pas, donne soif, et fait grossir. Je vous vois venir ; vous allez - à juste titre d'ailleurs - me faire remarquer que cela vaut pour une myriade d'autres aliments. C'est exact, mais, pour une raison obscure, mon aversion se cristallise quasi-exclusivement sur les chips. Les pauvres.

  5. Je ne dis jamais ce que je pense être vrai. Notez toutefois que si je ce que je viens d'affirmer est exact, alors je ne pense pas que ce que je viens de dire soit vrai ; auquel cas, je viens de vous affirmer quelque chose que je crois faux. Il faut convenir de même que, si je pense que cela est faux, alors je vous ai confié ce que je pense être vrai ; mais, vous voyez bien que dans ce cas... (Comme vous l'aurez - je pense - constaté durant cette séance de révélations intenses, j'ai un goût prononcé pour les sophismes, les paradoxes et autres énoncés sui-falsificateurs. Quand bien même vous en seriez à douter de mes précédentes révélations - pourtant toutes incontestablement véridiques, je ne crois pas que vous me contesteriez celle-ci.)

  6. J'ai un débilitron dans la tête. Sans doute parce que je suis toujours trop occupé à porpenser, j'ai facilement tendance à réinterpréter sur le mode absurde les paroles venues de l'extérieur. Par exemple, alors que j'étais tout absorbé à méditer l'Homme-Machine de La Mettrie, ma soeur, voulant me faire remarquer que je faisais obstacle entre elle et l'écran du téléviseur, m'interpella en ces termes : "*****, ta tête gêne !" Et bien, moi, en lieu et place de cette réplique, j'ai entendu "T'es (qu') une patate jaune !"... Ce n'est là qu'un exemple parmi une pléthore d'autres, et je ne m'en sortirais pas si je voulais encore vous parler des "canards en mousse du Bali", des "oreilles de janséniste" et autre "il y a des chromosomes lapins sur les restes" qui se substituent dans mon néo-cortex aux propos sensés que mes interlocuteurs auraient voulu y glisser.
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Victimes :


J'éditerai pour inscrire le nom et le blog de mes victimes, quand j'aurai accompli mes méfaits.


Antisthène Ocyrhoé.

Ballet classique et parodies : l'image du cygne dans la danse.


Nous n'avons souvent de la danse qu'une image limitée aux clips musicaux et aux entrechats d'une danseuse en tutu plateau. La danse classique et académique nous paraît figée, conventionnelle, sévère et exigeante. C'est en tout cas l'apparence que donnent les grands ballets du répertoire de l'Opéra de Paris, du Bolschoï et des autres grands lieux de la danse classique traditionnelle. En vérité, la question des règles, des codes et des contraintes liées à la création chorégraphique ne date pas d'hier. J'ai donc voulu parler un peu du purisme en danse tel qu'il était au XIXème et tel qu'il peut apparaître aujourd'hui ainsi que des tentatives de s'en éloigner, cela à travers un exemple de deux ballets - un pour chaque époque - qui tournent autour du thème du Cygne.



Purisme et décadence du ballet-pantomime.

Jean de Tinan, romancier et chroniqueur du XIXème siècle qualifiait déjà "la danse décorative classique" d' "insupportable étalage d'affèteries conventionnelles", on n'est pas loin du jugement que l'on porte aujourd'hui sur le même domaine. Il faut dire qu'en cette fin de XIXème siècle, le milieu de la danse connaissait une véritable crise. Le ballet classique reposait à l'époque sur un livret, dont l'auteur pouvait être n'importe qui : de l'homme de lettres au fabricateur de livrets à la chaîne en passant par le directeur de théâtre. Or, l'écriture d'un livret repose sur des règles précises, relevant de la difficulté de mettre en ballet certaines histoires, mais également d'une tradition qu'il s'agit de suivre à la lettre et d'un public particulièrement frileux en matière de nouveautés. L'Opéra demande en effet des œuvres simples, faciles à comprendre et, surtout, conventionnelles : nombre de livrets ont été refusés à cette époque pour ces différentes raisons. Ainsi, les librettistes ont généralement recours à des schémas types et caricaturaux qui confortent le public dans ses attentes. Ceux dont les livrets sont systématiquement refusés, à cause de leur mauvaise qualité ou de leur originalité - voire de leur iconoclasme - se tournent vers d'autres théâtres et des scènes secondaires.

L'Opéra est donc particulièrement touché dans cette période de "décadence". En effet, celui-ci est théoriquement investi de deux missions : celle de la création de nouvelles œuvres prestigieuses et celle de la sauvegarde du répertoire classique. Pour diverses raisons, ces deux missions ne sont pas remplies. Par rapport à la conservation du patrimoine chorégraphique nous pouvons citer l'exemple du ballet Giselle créé en 1841 qui, très vite, n'est plus représenté avant d'être totalement oublié 1, ce sont les ballets russes qui le réintroduiront à Paris bien des années plus tard. Pour ce qui est de la création, les chiffres de l'époque montrent que la production de l'Opéra est très limitée et bien en-dessous de celle des théâtres et cabarets alentours2. Ajoutons à cela que la danse est considérée comme un art subalterne, bien moins prestigieux que le chant lyrique, et les soirées de l'Opéra sont constituées de plusieurs types d'œuvres, la danse ne constituant souvent qu'un simple intermède à des créations de plus grande importance. Ainsi, entre 1870 et les années 1900, très peu de ballets nouveaux sont créés tandis que ceux inscrits au répertoire ne sont plus représentés, sous prétexte qu'ils ne correspondent plus aux attentes du public.




Nous pouvons justement nous demander quelles sont ces attentes ? Le thème de l'essoufflement des librettistes est à l'époque un lieu commun de la critique tandis que l'Opéra est surtout fréquenté par ses abonnés, appartenant à une population favorisée, entre noblesse et bourgeoisie mondaine. Léandre Vaillat nous donne l'ébauche d'une réponse en prenant l'exemple du librettiste Charles Nuitter3 : "(Il) connaissait trop la maison dont il fut l'historiographe et le premier bibliothécaire pour infliger aux abonnés un spectacle qui eût gâté par avance le plaisir qu'ils se promettaient d'un souper en compagnie des demoiselles du corps de ballet." A la réticence des directeurs de l'Opéra s'ajoute donc la frilosité du public. Je sors un instant du contexte bien délimité de la danse et me permets de citer Stendhal qui, quelques décennies plus tôt, avait écrit à propos du théâtre : " L'habitude exerce un pouvoir despotique sur l'imagination des hommes même les plus éclairés, et, par leur imagination, sur les plaisirs que les arts peuvent leur donner."4 L'Opéra est alors un lieu mondain, où l'on va se montrer et rencontrer la bonne société, en attendant un spectacle qui correspond aux codes du genre, cela explique en grande partie l'accueil frileux que le public aurait pu réserver aux innovations chorégraphiques ou scénaristiques.

La danse est donc en grave crise à cette époque, et cela amène de nombreuses remises en cause à propos du statut de cet art, des sujets qu'il traite, du sérieux avec lequel il le fait. A l'époque, dans de plus petits théâtres fleurissent des ballets moins rigides et à vocation plus parodique. Aujourd'hui également, la danse classique semble figée dans les grandes créations d'autrefois tandis que la danse contemporaine explore d'autres horizons, en jouant parfois avec les acquis classiques sans les prendre trop au sérieux.


Le ballet classique revisité :
le cygne et la danse.


De nombreuses voix se sont élevées contre le purisme de la danse académique, hier comme aujourd'hui. Je ne saurais vous faire sur ce sujet un exposé exhaustif, aussi vais-je me baser sur deux exemples que je développerai assez brièvement, l'un datant de la fin du XIXème siècle, l'autre concernant un ballet tout à fait actuel. Le grand ballet-pantomime classique apparaît comme une œuvre massive, sacralisée et défendue par ses admirateurs, dédaignée par les autres. Cependant, tout le monde n'a pas toujours pris au sérieux cette grande institution qu'est l'Opéra ni respecté religieusement les ballets du répertoire : des créations modernes répondant aux ballets classiques sont apparues ça et là, remplissant souvent une fonction parodique mais ne se limitant pas à cela. Je parlerai ici de deux ballets ayant pour thème Le cygne : l'un, dont le livret est de Catulle Mendès, date de 1899, l'autre est une chorégraphie de Matthew Bourne crée en 1995.



Parlons tout d'abord du ballet de 1899. Il faut savoir qu'à l'époque, le ballet d'inspiration mythologique, après avoir été un style très prisé aux XVIII et XIXème siècles, est totalement passé de mode. Les sujets mythologiques furent repris à la fin du siècle mais de façon tout à fait parodique. Il s'agissait de traiter le sujet de manière burlesque, à l'aide d'anachronismes flagrants et du choc de différents registres dans une même œuvre, dans une même scène. L'un des exemples de ces variations à partir d'un thème traditionnel est le ballet intitulé Le Cygne, livret de Catulle Mendès. Celui-ci reprend l'histoire des amours entre Léda et Zeus métamorphosé en cygne mais en intégrant un troisième personnage qui devient le rival du dieu : il s'agit d'un simple Pierrot déguisé en berger. Le véritable cygne est tué par un Pierrot jaloux qui se fait ensuite passer pour lui. Ainsi, la fière et belle Léda se tourne vers le blanc pantin croyant avoir affaire au majestueux oiseau. Scénario iconoclaste à forte portée érotique, le ballet joue avec les fantasmes de ce personnage de ridicule enfariné, qui se rêve à la place du cygne et accède par une ruse à la jeune femme. Voilà donc un ballet qui démythifie totalement la tradition dont il est issu, et qui d'un ballet traditionnel à sujet mythologique passe à un ballet moderne évoquant le fantasme et le rêve à travers son histoire.



Il y a quelques années, Matthew Bourne s'est attaqué au célèbre ballet du Lac des Cygnes pour en faire une chorégraphie contemporaine tout à fait en décalage par rapport à l'œuvre d'origine. En gardant la musique classique de Tchaïkovski, il retouche le scénario qui se déroule à présent dans notre monde contemporain et opère d'importantes modifications : les cygnes, autrefois représentés par de jeunes filles en tutu, sont ici des hommes. Le chorégraphe explique ce choix dans une interview : "La vision d’une ballerine dans le rôle du cygne est tellement incrustée dans l’esprit de chacun qu’il aurait été extrêmement difficile de remplacer cette image par mes idées si j’avais utilisé des danseuses. En utilisant des hommes, on efface toutes ces images dans l’esprit du public et on libère son imagination." Dans ce ballet, la relation entre le prince et le cygne ne relève plus du conte de fée mais plutôt de l'imagination du jeune homme et de ses fantasmes. De plus, cette œuvre a une certaine fonction parodique : au cours du deuxième acte, elle représente un ballet dans le ballet ; par cette mise en abyme, nous assistons à un "ballet victorien" volontairement ridicule. Au fil des autres actes sont disséminées des chorégraphies revisitant la danse d'origine, de façon assez burlesque. Puisque je parle d'une création plus contemporaine, j'ai la chance de pouvoir faire voir directement de quoi je parle, en prenant pour exemple une même chorégraphie dans le ballet d'origine et dans le Swan Lake moderne. Il n'y a pas à dire : le traitement est tout à fait différent. Le remplacement de la ballerine par un danseur amène donc à une vision nouvelle de la danse et à une chorégraphie contemporaine originale et provocante, alternant le pathétique et le burlesque. Le chorégraphe propose quelque chose de nouveau tout en s'inspirant d'un grand classique de la danse, fortement présent dans les mémoires. Variation à partir d'une histoire semblable, d'un même thème, d'une même musique.

Ainsi la danse ne se prend pas toujours au sérieux et il semble y avoir depuis longtemps une relation entre des ballets anciens conservés au répertoire, plus ou moins régulièrement représentés et des œuvres nouvelles qui s'en inspirent fortement, jouant avec les traditions et les codes de la danse. Ces jeux de variations sont intéressants dans le sens où ils montrent les tensions entre danse académique et danse moderne, ainsi que les relations et les influences qui peuvent exister entre elles.


Notes :
1. Oublié étant un bien grand mot. Le ballet lui-même se perd mais il demeure très présent dans les mémoires et son schéma sera beaucoup repris dans des ballets postérieurs.
2. Je me permets de proposer des chiffres donnés dans Ecrire pour la danse d'Hélène Laplace-Claverie : "Folies Bergères : plus de 50 ballets créés en 15 ans (1887-1902) ; Eden-Théâtre : environ 25 ballets créés en 10 ans ; Théâtre des Arts : une dizaine de créations entre 1910 et 1914 ; Opéra : 28 ballets seulement en l'espace de 45 ans."
3. Charles Nuitter étant notamment le créateur du ballet Coppélia, adapté - et beaucoup remanié ensuite - du conte d'Hoffman Der Sandman.
4. Cette citation est tirée de Racine et Shakespeare.

Images :
- Entangled de Terryfn
- Gravure représentant Carlotte Grisi dans le rôle de Giselle.
- Léonard de Vinci, Léda et le cygne
- Photo issue du Lac des cygnes classique
- Photo issue de Swan Lake de Matthew Bourne


Le pessimisme radical d'Arthur Schopenhauer.


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Si le pessimisme devait s'incarner sous un visage
humain, il est presque certain qu'il choisirait celui d'Arthur Schopenhauer. Nul philosophe moderne, me semble-t-il, n'a développé une pensée aussi radicalement pessimiste. Qu'entends-je par pessimisme ? Jugez par vous-même : Dans le livre quatre de son grand ouvrage, Le monde comme Volonté et comme représentation, Schopenhauer affirme que la souffrance est le fond de toute vie, mais que la vie humaine est plus douloureuse encore que toutes les autres ; la condition humaine étant d'osciller sans cesse du désir qui est manque, à l'ennui de la satiété (Paragraphes 55 et 56 pour les curieux). De même, entre le malheur et le bonheur pas de symétrie possible ; le bonheur est préconscient : l'on n'en prend conscience qu'a posteriori, quand il n'est plus. Le malheur, quant à lui, fait aussitôt sentir sa main de fer. Logique identique concernant la douleur et le plaisir, lequel, selon Schopenhauer, engendre bien vite l'ennui s'il s'avise de durer.

Le raisonnement de Leibniz voulant que nous évoluions dans le meilleur des mondes possibles est ici durement renversé : un monde pire que le monde réel eût été impossible car il n'aurait pas tenu.

Mais nous ne saurions rendre fidèlement compte de la force négative de cette pensée sans laisser la parole au philosophe lui-même :

" Vraiment, on a peine à croire à quel point est insignifiante, vide de sens aux yeux du spectateur étranger, à quel point stupide et irréfléchie de la part de l'acteur lui-même, l'existence que coulent la plupart des Hommes ; une attente sotte, des souffrances ineptes, une marche titubante à travers les quatre âges de la vie, jusqu'à ce terme, la mort, en compagnie d'une procession d'idées triviales. Voilà les Hommes : des horloges ; une fois monté, cela marche sans savoir pourquoi ; à chaque engendrement, à chaque naissance, c'est l'horloge de la vie humaine qui se remonte - pour reprendre sa petite ritournelle, déjà répétée une infinité de fois, phrase par phrase, mesure par mesure, avec des variations insignifiantes. "

Ce pessimisme fait beaucoup réfléchir, et je suis parfois près de penser qu'il s'agit avant tout d'une lucidité sans pitié. Bien évidemment, cela n'est pas sans issue dans le système de Schopenhauer, l'Homme peut espérer une faible délivrance par la morale et l'esthétique, j'y reviendrai peut-être plus tard, car c'est assez complexe - il me faudrait rentrer plus au coeur de la pensée du philosophe, et je n'ai pas beaucoup de temps.

Antisthène Ocyrhoé.

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Image : Portrait d'Arthur Schopenhauer.

[Texte du mois] J.-P. Sartre, Réflexions sur la question juive.


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Il convient, pour commencer, de restituer le contexte dans lequel cet essai fut écrit : Automne 1944, après quatre ans d'occupation la France est libérée ou presque. Après ces jours sombres, l'espoir renaît parmi la population ; "dans ces journées uniques tout était possible ; nous nous étions promis alors que tout serait neuf et vrai, que tout recommencerait depuis le début, comme si Vichy-la-Honte et ses polissons affreux n'avaient pas existé, que ce gai matin de la Libération serait notre deuxième naissance " écrira le philosophe Vladimir Jankélévitch dans les
Temps Modernes en juin 1948 pour parler de cette période. Cependant, rien n'est donné : pendant l'occupation, les journaux avaient dû s'adapter au délire anti-juif des nazis, et l'on craignait que cela n'ait beaucoup fait renaître le vieil antisémitisme français. Aussi, quand Sartre écrit ses Réflexions sur la question juive, il se donne pour tâche de décontaminer les esprits autant que de jouer un rôle dans le renouvellement moral et social de la France de l'après-guerre.

Le texte ne sera finalement publié qu'en l'automne 1946, alors qu'un chapitre introductif intitulé "Portrait de l'Antisémite" avait déjà été publié dans le numéro trois des Temps Modernes en décembre 1945. Sartre souligne le silence dont est entouré le retour des déportés juifs rescapés des camps. Cet essai n'est cependant pas une réflexion sur le génocide en tant que tel - en automne 1944, au moment de la rédaction, les alliés n'avaient pas encore découvert Auschwitz et Buchenwald. Son intérêt est bien plutôt dans le portrait qu'il donne de l'antisémite, celui qui fait le choix de la haine et de la médiocrité plutôt que de la raison, et dans la thèse, controversée, selon laquelle le Juif est la création de l'antisémite : "Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif, voilà la vérité simple d'où il faut partir [...] c'est l'antisémite qui fait le Juif".

Je crois qu'aujourd'hui, nous pouvons trouver intérêt à lire ce texte d'au moins deux manières. D'un part, nous pouvons en faire une lecture historique, c'est-à-dire le replaçer dans son contexte, et s'intéresser spécifiquement à ce qu'a pu être cette question juive. Il permet sans doute d'éclairer en partie la continuité et l'expansion, dans l'Histoire, de l'antisémitisme, ainsi que la façon dont les Juifs se sont positionnés par rapport à cet antisémitisme de manière diachronique ou spécifiquement pour la période concernée. J'avoue que je ne l'ai pas vraiment lu dans cet optique, pour la simple raison que je ne dispose pas des connaissances nécessaires pour en tirer vraiment profit sur ce plan. D'autre part, donc, nous pouvons le lire philosophiquement, en repérant les constantes psychologiques déterminant les mécanismes de la haine, qui, convenons-en, sont très loin d'avoir disparus.

Un texte qui, dans tous les cas, me semble donc toujours pouvoir (devoir ?) attirer notre attention. L'extrait que je vous propose est issu de la première partie de l'essai, centrer sur le "portrait de l'antisémite". Bonne lecture !

Antisthène Ocyrhoé.


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"L'homme sensé cherche en gémissant, il sait que ses raisonnements ne sont que probables, que d'autres considérations viendront les révoquer en doute ; il ne sait jamais très bien où il va ; il est "ouvert", il peut passer pour hésitant. Mais il y a des gens qui sont attirés par la permanence de la pierre. Ils veulent être massifs et impénétrables, ils ne veulent pas changer : où donc le changement les mènerait-il ? Il s'agit d'une peur de soi originelle et d'une peur de la vérité. Et ce qui les effraie, ce n'est pas le contenu de la vérité, qu'ils ne soupçonnent même pas, mais la forme même du vrai, cet objet d'indéfinie approximation. C'est comme si leur propre existence était perpétuellement en sursis. Mais ils veulent exister tout à la fois et tout de suite. Ils ne veulent point d'opinions acquises, ils les souhaitent innées ; comme ils ont peur du raisonnement, ils veulent adopter un mode de vie où le raisonnement et la recherche n'aient qu'un rôle subordonné, où l'on ne cherche jamais que ce qu'on a déjà trouvé, où l'on ne devient jamais que ce que déjà, on était. Il n'en est pas d'autre que la passion. Seule une forte prévention sentimentale peut donner une certitude fulgurante, seule elle peut tenir le raisonnement en lisière, seule elle peut rester imperméable à l'expérience et subsister durant toute une vie. L'antisémite a choisi la haine parce que la haine est une foi ; il a choisi originellement de dévaloriser les mots et les raisons. Comme il se sent à l'aise, à présent ; comme elles lui paraissent futiles et légères, les discussions sur les droits du Juif : il s'est situé d'emblée sur un autre terrain. S'il consent, par courtoisie, à défendre un instant son point de vue, il se prête mais ne se donne pas : il essaie simplement de projeter sa certitude intuitive sur le plan du discours. Je citais, tout à l'heure, quelques "mots" d'antisémites, tous absurdes : "Je hais les Juifs parce qu'ils enseignent l'indiscipline aux domestiques, parce qu'un fourreur juif m'a volée, etc. " Ne croyez pas que les antisémites se méprennent tout à fait sur l'absurdité de ces réponses. Ils savent que leurs discours sont légers, contestables ; mais ils s'en amusent, c'est leur adversaire qui a le devoir d'user sérieusement des mots puisqu'il croit aux mots ; eux, ils ont le droit de jouer. Ils aiment même à jouer avec le discours car, en donnant des raisons bouffonnes, ils jettent le discrédit sur le sérieux de leur interlocuteur ; ils sont de mauvaise foi avec délices, car il s'agit pour eux, non pas de persuader par de bons arguments, mais d'intimider ou de désorienter."


Sartre, Réflexions sur la question juive, Folio Essais, p. 21-22.

La tolérance religieuse en France : un combat d'aujourd'hui, le métal extrême.



Tolérance religieuse et musique extrême.


Nous pourrions croire, dans une société laïque telle que la nôtre, que la question de la tolérance religieuse n’est plus tout à fait d’actualité ; ou du moins qu’elle ne concerne plus que quelques domaines en particulier. On invoque souvent cette notion quand il est question de l'Islam en France, par exemple. Seulement, nous constatons que cette question demeure tout à fait pertinente dans certains secteurs culturels. Je choisis ici d'évoquer un fait divers dont on n’a pas beaucoup entendu parler : il s’agit des pressions exercées par l’AGRIF (1) contre la venue d’un groupe à un festival de métal de Lorraine (2) et demandant la suppression du festival en lui-même. Même si le mot de « tolérance » n’apparaît pas tel-quel dans le texte que j’ai choisi de citer ici, je considère que cette idée est tout à fait centrale dans ce débat qui est loin de se limiter à ce seul exemple.

Pour en venir au discours tenu par cette association, il est intéressant de noter le conflit qui réside entre leurs revendications officielles (lutte contre ce qui est ressenti comme de l’intolérance) et leurs actions qui sont elles-mêmes des actions d’intolérance (le fait de réclamer l’interdiction d’une manifestation culturelle). C’est ce qui transparaît dans la lettre que nous citons : il s’agit de décrire la musique extrême et les discours tenus par certains musiciens comme racistes, dangereux, anti-chrétiens et de justifier par là les procès et les pressions exercées sur l’organisation du festival. Le texte est parsemé d’amalgames et d’hyperboles visant à stigmatiser un pan de la création musicale qui paraît marginal et reste assez mal connu, mouvement artistique déjà malmené par les médias en général : « groupes de haine anti-judéo-chrétienne aux confins du nazisme et du satanisme ». On sent qu’il y a une volonté de susciter la peur, d’inquiéter les autorités et le citoyen moyen ; dans un climat national où l’accent est mis sur la sécurité, le fait de parler de « banalisation de la culture de haine » n’est sans doute pas anodin.

Ces discours ont été, comme on peut s’en douter, très mal vécus par la « communauté métal » (si communauté il y a …) qui a ressenti ces accusations comme une agression voire une remise en cause de ses libertés fondamentales. Il s’agit d’une communauté qui, pour sa grande majorité, connaît très bien les messages des groupes de musique extrême et qui parvient à faire le tri entre ce qui appartient au domaine du spectacle (3) et les véritables revendications idéologiques, d’ailleurs moins fréquentes et rarement cautionnées par les spectateurs. Ajoutons à cela que les pressions de l’AGRIF ont mené à l’annulation ou au mauvais déroulement de certains concerts et festivals. Il faut imaginer ce que cela peut représenter pour l’amateur de métal, dans un contexte où les concerts de musique extrême sont déjà rares en France, et où les artistes étrangers ne se produisent que lors de dates exceptionnelles. De plus, la personne qui écoute ce genre de musique est souvent en situation de conflit avec la société en général, qui rejette et stigmatise l’individu : il suffit de voir les reportages télévisés qui prétendent avertir les gens des dangers de ces courants musicaux, les reliant systématiquement à différentes sectes et idéologies extrémistes ; message relayé par les discours religieux dont nous parlons ici. Cette peur et cette incompréhension qui mènent rapidement à l’intolérance sont le résultat d’une ignorance de ce qu’est la réalité du métal (4) : vertu catharsique de la violence musicale, messages essentiellement provocateurs sans grande portée idéologique. Cette situation de conflit me semble importante, d’autant plus qu’elle ne se limite pas à un seul fait divers : par exemple, des « Jéricho de prières » avaient été organisés autour du site du Hellfest, autre festival de musique métal en France, défini par le journal catholique L’univers comme « une sorte de convention satanique … avec des stands. »

Ce conflit qui existe entre ces associations et le milieu musical est assez inquiétant : la situation semble figée dans une atmosphère de conflit frontal, et les discours proférés d’un côté comme de l’autre deviennent parfois violents. Chaque camp prétexte l’intolérance de l’autre pour fonder sa propre intolérance et justifier un propos peu nuancé. La situation est très complexe puisqu’elle repose en partie sur une incompréhension : révolte des amateurs de musique face aux attaques et aux amalgames des discours religieux, incompréhension des non-initiés face au côté provocateur et grand-spectacle de ce courant musical. Cela crée une situation d’affrontement, où chacun campe fermement sur ses positions, situation dans laquelle tout dialogue semble à première vue impossible. Moi-même adepte de concerts et festivals de ce type, et bien que révoltée par les accusations lancées aux amateurs de métal, j’avais été surprise par la violence des propos qui cherchaient à répondre à cette lettre de l’AGRIF : j’en étais venue, face à l'attitude des deux camps, à réfléchir sur la question de la tolérance. Il me semble que cette situation constitue un écho intéressant de l’histoire de la question de tolérance religieuse en France : les discours cités relèvent en grande partie du fantasme (thème de la « chasse aux sorcières » et du combat contre le satanisme), écho certes affaibli mais qui fait référence à toute une tradition des discours partisans en religion.


Lettre de la part de l’AGRIF contre le Metal Therapy Fest et la présence
du groupe « Impaled Nazarene » à ce festival.


« Message de Bernard Antony à
Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur
Pascal Clément, garde des Sceaux
Docteur Kieffer, député-maire d’Amneville

Nous attirons ce jour votre attention sur l’organisation par l’association “ Evolution Prod ” d’un festival à Amneville (Moselle) scandaleusement financé par le Conseil Régional, le samedi 15 avril, veille de Pâques, au cours duquel se produira le groupe “ The Impaled Nazarene ” ce qui se traduit sans mal par “ Le Nazaréen empalé ”.

Il s’agit là d’un de ces groupes de haine anti-judéo-chrétienne aux confins du nazisme et du satanisme dont on sait combien l’influence morbide peut être cause d’actes criminels dont le pire, à ce jour, fut, il y a une dizaine d’années, l’assassinat d’un prêtre en Alsace. L’AGRIF, que je préside, engage ce mardi 19 avril, à 10 heures 30, devant le tribunal de Metz l’action en référé qui s’impose pour tenter d’interdire pareille banalisation de la culture de haine.

Nous attirons votre attention sur le fait que les pouvoirs publics auraient déjà dû prendre les mesures qui s’imposaient. Nous souhaitons que vous puissiez agir au plus vite en ce sens. »



Notes :
(1) Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l'Identité Française et chrétienne
(2) Avec victoire : l’organisation a du demander au groupe d’annuler cette date.
(3) Le côté « Grand-Guignol » de la musique métal, en somme.
(4) En dehors de ce qui est accessible à tout un chacun, en un mot ce qui est présenté dans les médias.

[Histoire] Les grandes découvertes et la première mondialisation.


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Préambule : Je mets en ligne ces quelques notes, issues d'un cours de deuxième année de licence Lettres et Sciences Humaines. Il porte sur les "grandes périodes de l'Histoire ". Le programme du semestre concernait plus précisément la période "moderne", c'est-à-dire, en terme d'Histoire occidentale, toute la période allant de la fin du moyen-âge (Mi-XVe siècle) à l'époque des révolutions atlantiques (fin XVIIIe siècle).

Je crois intéressant de faire partager certains cours, qui m'ont véritablement passionnés ; je le ferai donc certainement encore par la suite. De toute façon, je ne peux pas dire que cela me coûte énormément : au contraire, en me replongeant dans mes notes, cela ne fait, au pire, que m'aider à garder toutes ces informations en mémoire.

En espérant que cela puisse vous intéresser, et en vous souhaitant une bonne lecture,

Antisthène Ocyrhoé.


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Avec les grandes découvertes, on assiste au début du décloisonnement du monde. Cette période de grandes découvertes commence avec les voyages d’explorations d’aventuriers qui sont mandatés, aux XVe & XVIe siècles, par deux royaumes : l’Espagne et le Portugal.

En 1459, le monde connu des Européens est très mince : l’Asie est mal connue, idem pour l’Afrique (plus on s’éloigne de l’Europe, plus les approximations sont importantes). Les autres continents ne sont pas du tout connus. À cette époque, le monde connu se limite à trois continents. On se rend compte que les connaissances géographiques n’ont pas beaucoup évolué depuis l’antiquité, et que les cartes de l’époque ressemblent beaucoup à la carte du monde établie par Ptolémée, un géographe du deuxième siècle av. J.C. Le monde est alors centré sur une vieille capitale religieuse : Jérusalem.

Découvrir suppose innover : à la fin du moyen-âge, les techniques de navigation en haute mer vont énormément progresser. Depuis l’antiquité, l’immensité de l’Océan faisait peur, on pensait qu’au-delà se trouvaient les limites du monde. Cela va se débloquer à la fin du Moyen-Âge : on apprend à naviguer : on apprend à utiliser les boussoles, la navigation astronomique, etc. La navigation va bénéficier des connaissances pratiques concernant les vents et les courants. Bref, à partir du XVe siècle, on est à peu près capable de se repérer dans l’Océan. De même, les navires vont être rendus plus apte à la haute-mer : il va apparaître deux types de bateaux qui permettent la navigation en haute-mer ; ce sont les nefs et les caravelles. Ils sont propulsés par des voiles carrées (issu des techniques de navigation du Nord) et des voiles triangulaires, dites « latines ». La peur de l’inconnu recule, les aventuriers de l’époque deviennent plus intrépides.



Les Portugais sont les premiers à se lancer à l’assaut de l’Atlantique : ils sont intéressés par l’Afrique et décident d’en explorer les côtes. Ils ont plusieurs motivations : espionner l’ennemi musulman (on est encore dans une logique de croisade), et chercher de l’or, des épices et surtout des esclaves (appétit de richesses). L’exploration commence en 1419 et va se prolonger tout au long du siècle : C’est seulement en 1488 que l’on atteint le cap de Bonne-Espérance, qui marque l’extrême-sud de l’Afrique. On passe alors dans l’Océan Indien : le Portugal ouvre la route des Indes.

1497/1498 : Vasco de Gama atteint l’Inde. Il est le premier à traverser l’Océan Indien pour les Portugais, et à mettre le pied dans les ports indiens. Les Portugais peuvent désormais accéder au marché indien sans intermédiaire.


Dans le même temps, l’horizon Atlantique s’ouvre à l’Ouest : Christophe Colomb va se mettre au service du roi d’Espagne. Son but : trouver une route plus courte pour se rendre aux Indes, sans longer l’Afrique. Il part vers l’Ouest. Après 36 jours de voyage, à la fin de 1492, il arrive aux Bahamas. Il pense se trouver en Extrême-Orient, ce pourquoi les habitants seront, par méprise, appelés « Indiens ». D’autres voyages lui font découvrir l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud (côte Amazonienne).

En 1500, un Portugais découvre accidentellement ce qui deviendra le Brésil.

Jusqu’à sa mort, Colomb reste persuadé que les terres qu’il a découvertes sont des obstacles. Il n’en a pas compris l’avantage.



Entre 1519 et 1521, Magellan, qui travaille pour l’Espagne, réalise le premier tour du monde : il entre dans l’Océan Pacifique. (Il meurt pendant le voyage).

Il faut donc un siècle pour reconnaître l’étendue de la planète et la configuration des continents.

À l’issue de ces grandes découvertes, l’Espagne et le Portugal se partagent le monde : le premier partage à lieu en 1494 : à l’Ouest, les territoires sont sous l’influence des Espagnols, et l’Est (c’est-à-dire l’Océan Indien essentiellement) est la sphère d’influence des Portugais.

Un deuxième partage a lieu en 1529 : l’Afrique et l’Océan Indien sont réservés aux Portugais, et le reste (dont le Pacifique) aux Espagnols. Les autres pays, comme l’Angleterre, la France ou les Pays-Bas sont exclus de ce partage. Une fois l’exploration terminée, une fois le partage fait, on entre dans une phase de conquête : c’est surtout le cas de l’Espagne en Amérique. C’est l’époque des Conquistadors.

Ces conquérants vont mettre fin aux grandes civilisations de l’Amérique pré-colombienne. Deux grands empires en particulier vont disparaître : - L’Empire Aztèque, qui se situait au Mexique, va s’effondrer en 1521 (année de la prise de la capitale, Mexico). - L’Empire Inca, qui était situé au Pérou actuel, disparaît en 1532.

On peut se demander comment une centaine d’hommes parviennent à mettre à terre des empires vastes et organisés : D’une part, les conquistadores bénéficient d’avantages technologiques certains, notamment les armes à feu (arquebuses), les canons, les cuirasses d’acier (les flèches des indiens ne les percent pas), l’usage du cheval (jusqu’alors inconnu de ces populations). Mais ce qui va jouer en leur faveur, c’est surtout le choc microbien : les deux mondes n’avaient jamais été en contact : les maladies des Européens étaient totalement inconnues sur le sol américain. Les maladies apportées par les Espagnols vont décimer les populations indiennes. On peut ajouter à tout cela le choc psychologique provoqué par l’invasion. Tout cela explique que les empires pré-colombiens aient été abatus en quelques mois seulement par une poignée d’hommes.



En Asie, les populations ont beaucoup mieux résisté et l’on assiste à aucun écroulement de civilisation.

Pendant cette période, les autres nations européennes sont tenues à l’écart, l’heure de la France et de l’Angleterre viendra plus tard. Les Français explorent timidement le Canada en 1534 (Jacques Cartier), mais vont mettre beaucoup de temps à s’y installer.

On s’interroge sur la mise en valeur de ces territoires nouveaux. Au Mexique et au Pérou, il y a beaucoup de richesses, notamment des mines d’or et d’argent, qui vont être allègrement exploitées par les Espagnols, qui achemineront le tout jusqu’à Séville. À cette époque, l’Europe manque de métal précieux : l’exploitation du continent Américain marque la fin de cette pénurie et dynamise progressivement l’économie européenne. En contrepartie, on assiste à un phénomène d’inflation.

La mise en valeur des empires coloniaux va aussi prendre la forme de travaux agricoles réalisés en Amérique. On plante des cannes à sucre dans les Antilles et au Brésil. On utilise les Indiens comme main d’œuvre, mais comme ils meurent en grand nombre à cause du choc microbien, on va rapidement aller chercher des esclaves en Afrique. Ainsi l’Afrique devient un marché d’esclaves pour les colonies d’Amérique.

De nouveaux chemins commerciaux s’ouvrent et se développent. L’Atlantique prend progressivement une place de plus en plus importante, au détriment de la Méditerranée. Ce qui contribue à développer les villes de l’Atlantique, comme Lisbonne, Séville puis Anvers, Londres, Amsterdam. Cette importance que prend l’Europe Atlantique au XVIe durera jusqu’au début du XXe siècle.

On importe des produits nouveaux, comme le cacao, le tabac, les épices, la porcelaine de Chine, etc. Les ports européens vont exporter nos produits (livres, textiles, etc.) vers les « nouveaux mondes ».

Les ports européens se développent aussi grâce à la traite des noirs.


L’ouverture économique vers le monde est un processus très lent : au début du XVIe siècle, l’importance de ce genre de commerce n’est pas encore très marquée, mais le processus est en marche.

Cette situation nouvelle stimule le capitalisme commercial : les sociétés de commerce, qui existent depuis le Moyen-Âge, vont connaître un grand essor. On peut citer l’exemple de Jacob Fugger, qui a développé un réseau commercial immense en créant des succursales dans toutes les grandes villes européennes. Ce développement de l’importance des entreprises implique de mieux s’organiser : parallèlement se développe la comptabilité, de nouvelles techniques commerciales, etc.

Afin d’assouplir le système, on va développer les lettres de change. Ça évite notamment de se balader avec 50 kg de monnaie sonnante et trébuchante : cela facilite le commerce et les échanges monétaires.

On assiste également à la création des premières bourses, qui sont des endroits réservés aux marchands, où l’on traite des affaires. C’est un grand point de rencontre pour les commerçants. Ces bourses sont aussi bien des bourses commerciales que financières.

On voit donc que le commerce s’adapte à la nouvelle configuration du monde. Cela implique aussi un changement important des mentalités : Au XVIe siècle, les marchands prennent beaucoup d’importance. Ils deviennent à leur siècle ce que les chevaliers furent au Moyen-Âge.

Les héros du XVIe sont : les princes qui ont financé les grandes explorations, les militaires qui prennent possession du nouveau monde, les commerçants, les financiers ainsi que les religieux qui vont évangéliser le monde.

La vision du monde des Européens change, ils vont pouvoir diffuser leurs connaissances dans le monde : les livres circulent et les langues anciennes et modernes (Portugais, Espagnols) vont se diffuser dans le monde entier. La littérature européenne se diffuse. Du point de vue religieux, les missionnaires vont imposer la religion européenne.

Mais, même si l’échange est très inégal, il n’est pas tout à fait à sens unique : le nouveau monde permet aux Européens d’élargir leurs connaissances dans la botanique, en zoologie, etc. De même, des collectionneurs vont faire importer de vieux manuscrits Mexicains. Mais ce retour à des limites : Les pensées étrangères n’ont quasiment aucun impact sur la philosophie européenne, notamment à cause des interdits religieux qui censurent les pensées indigènes.

En 1600, des fonctionnaires de l’Empire Chinois recopient des livres européens : les échanges culturels sont un peu à sens unique.

Conclusion : Les grandes découvertes et la première mondialisation Ibérique donne une avance à l’Europe dans l’exploitation des nouveaux mondes. Cela va avoir des répercutions lentes sur la culture européenne et sur notre vision du monde.

Les conquistadors, les marchands, les colons, etc. tous ceux qui sont témoins à distance, comme les humanistes : c’est un véritable mouvement de renouveau depuis le XVe siècle : le décloisonnement du monde est un élément fondamental de la Renaissance.



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Images :

- Vasco de Gama
- Christophe Colomb débarquant à Hispaniola
- Hernan Cortès, le conquistador qui a colonisé le Mexique.
- Jacob Fugger dans un de ces bureaux
- Stradanus, l'état des découvertes à la fin du XVIe siècle.