Le mot de la semaine

« Regardez-y de près, et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu'il n'y a point, et qu'il ne peut y avoir d'êtres libres ; nous ne sommes que ce qui convient à l'ordre général, à l'organisation, à l'éducation et à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement [...]. Ce qui nous trompe, c'est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l'habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le libre. »

Diderot
, Lettre à Landois, 29 juin 1756
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Ithaque à nez comique.



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Dans les Essais de Montaigne, nous pouvons lire, en titre d'un paragraphe, cette assertion déconcertante : "Que philosopher, c'est apprendre à mourir". Triste conception de la philosophie qui veut que la finalité de la matière consiste à se préparer à la mort pour ne plus la craindre ! Triste et, notons-le au passage, absurde, car il est illusoire de croire que l'on peut apprendre à mourir : "On a souvent dit que nous étions dans la situation d'un condamné, parmi les condamnés, qui ignore le jour de son exécution, mais qui voit chaque jour exécuter ses compagnons de geôle. Ce n'est pas tout à fait exact : il faudrait plutôt nous comparer à un condamné à mort qui se prépare bravement au dernier supplice, qui met tous ses soins à faire bonne figure sur l'échafaud et qui, entre temps, est enlevé par une épidémie de grippe espagnole." (J.-P. Sartre, l'Être et le Néant, p. 591) Ce qui signifie, plus clairement, que nous ne saurions attendre la mort ou prendre une attitude envers elle, car "elle est ce qui se révèle comme l'indécouvrable, ce qui désarme toutes les attentes" (J.-P. Sartre, idem). Bref, pendant que nous apprendrions à mourir, ne risquerions-nous pas d'oublier de vivre ?

Mais je caricature sciemment la posture stoïcienne de Montaigne pour le besoin de mon raisonnement ; je voulais simplement en venir au fait que nous refusons de prendre la philosophie trop au sérieux, d'en faire quelque chose de grave, de triste, et - ce qui est pire autant que fréquent - d'abscons ; tout au contraire, nous voulons en faire un outil agréable pour badiner, mais aussi pour déconsidérer cette gravité affectée dont on voudrait que nos vies soient marquées, et que nous ne voyons que trop souvent sur le visage de nos contemporains ! Oui oui, vous avez bien compris l'implicite : nous croyons que l'on nous conditionne à être bête et à nous prendre bien trop au sérieux ! Heureusement, nous croyons également pouvoir toujours faire quelque chose de ce que l'on a fait de nous.

Avec ce blog, nous voulons partager avec vous toutes sortes de choses. Nous ne parlerons absolument pas que de philosophie, mais, considérant la philosophie comme un outil de dédramatisation du monde et de réflexion au sens étendu du terme, nous philosopherons tout le temps, fut-ce par l'absurde, le comique ou le non-sens ! Il s'agit donc de faire partager des découvertes, de parler de livre, de film, de danse, mais aussi de poulet et de moustache si l'envie nous en prend, car une phrase aussi absurde que "Si l'on cache un homme dans une moustache, on pourra le manger plus tard", peut être recouverte d'un contenu philosophique, et pas des plus ennuyeux encore ! Nous voulons laisser trace ici de ce qui nous amuse - et n'amusera peut-être que nous -, de ce qui nous fait réfléchir : bref, du sublime au grotesque, de toute ces petites traces qui constituent et animent notre quotidien, et que nous souhaitons poser sur un support afin de nous ouvrir à vous, mais peut-être surtout, plus simplement, dans le but de figer quelque part ces éléments trop souvent fugitifs, qui, à leurs manières, sont aussi constitutifs de ce que nous sommes ou avons été à un moment donné de notre existence.

Je réalise que je dis "nous" depuis le début, et n'en ai pas encore rendu compte : ce n'est pas que je souffre d'un trouble du comportement qui me laisserait accroire être plusieurs ; simplement, ce lieu condensera les méfaits de plusieurs auteurs ; vous pouvez déjà voir que nous sommes deux scripteurs affichés, mais le blog ne se limitera sans doute pas à cela. Nous nous attacherons d'ailleurs à jouer du masque de la pseudonymie, non pas pour préserver notre vie privée ou je ne sais quoi, mais juste parce que l'auteur d'un texte n'a aucune importance : ce qui est important, c'est le texte donné en partage, et les expériences de lecture que nous n'osons espérer susciter, mais que nous susciterons peut-être tout de même quelque fois, comme malgré nous.

Multiplicité des sujets, des auteurs ; volonté de converser avec sérieux ou avec humour, de raisonner, de déraisonner, d'être profond, d'être absurde : vous l'aurez compris, ce blog prendra la forme d'un véritable pot-pourri et nous nous soucions aussi peu de cohérence que nous ne donnons de prix aux philosophies de système ; nous en remplirons les pages "à nos heures de loisir et avec toute sorte de liberté, selon que les choses se présenterons à [notre] pensée." (P. Bayle, Pensées sur la Comète.)

Nous nous proposons donc de renverser la formule de Montaigne, et d'essayer, à notre niveau, de faire du rire, de la connaissance et du refus de l'esprit de sérieux, les moyen de nous délasser, mais, plus profondément encore, d'exister avec le plus de joie et de légèreté possible. Ainsi, nous n'hésitons pas à mettre notre page sous le sceau de ce postulat : Que philosopher, c'est apprendre à sourire.


Antisthène Ocyrhoé.

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Image : Démocrite riant, Hendrick Terbrugghen

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