Ô homme ! resserre ton existence au-dedans de toi, et tu ne seras plus misérable. [...] Ta liberté, ton pouvoir, ne s'étendent qu'aussi loin que tes forces naturelles, et pas au-delà ; tout le reste n'est qu'esclavage, illusion, prestige. La domination même est servile, quand elle tient à l'opinion ; car tu dépends des préjugés de ceux que tu gouvernes par les préjugés. Pour les conduire comme il te plait, il faut te conduire comme il leur plaît. Ils n'ont qu'à changer de manière de penser, il faudra bien par force que tu changes de manière d'agir. Ceux qui t'approchent n'ont qu'à savoir gouverner les opinions du peuple que tu crois gouverner, ou des favoris qui te gouvernent ou celles de ta famille ou les tiennes propres : ces vizirs, ces courtisans, ces prêtres, ces soldats, ces valets, ces caillettes, et jusqu'à des enfants, quand tu serais un Thémistocle en génie, vont te mener, comme un enfant toi-même au milieu de tes légions. Tu as beau faire, jamais ton autorité réelle n'ira plus loin que tes facultés réelles. Sitôt qu'il faut voir par les yeux des autres, il faut vouloir par leurs volontés. Mes peuples sont mes sujets, dis-tu fièrement. Soit. Mais toi, qu'es-tu ? le sujet de tes ministres. Et tes ministres à leur tour, que sont-ils ? les sujets de leurs commis, de leurs maîtresses, les valets de leurs valets. Prenez tout, usurpez tout, et puis versez l'argent à pleines mains ; dressez des batteries de canon ; élevez des gibets, des roues ; donnez des lois, des édits ; multipliez les espions, les soldats, les bourreaux, les prisons, les chaînes : pauvres petits hommes, de quoi vous sert tout cela ? vous n'en serez ni mieux servis, ni moins volés, ni moins trompés, ni plus absolus. Vous direz toujours : nous voulons ; et vous ferez toujours ce que voudrons les autres.
Le seul qui fait sa volonté et celui qui n'a pas besoin, pour la faire, de mettre les bras d'un autre au bout des siens : d'où il suit que le premier de tous les biens n'est pas l'autorité, mais la liberté. L'homme vraiment libre ne veut que ce qu'il peut, et fait ce qu'il lui plaît.
Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation,
GF-Flammarion n°117, 1966, pages 98-99.
GF-Flammarion n°117, 1966, pages 98-99.
1 trait(s) d'esprit:
Quelques siècles plus tard, le contexte a changé et il faut aussi adapter les outils de la pensée. Il faut toujours trouver les moyens de réduire les facteurs d'hétéronomie, mais la tâche s'est compliquée. Le monde étant devenu un vaste tissu de réseaux, l'enjeu est dorénavant de tracer ces derniers pour mettre en évidence l'hétéronomie qu'ils produisent et garder des prises sur eux. Bref, il faut construire un autre projet politique. On commence à voir des pensées se développer en ce sens, par exemple : http://yannickrumpala.wordpress.com/2009/01/04/cartographier-le-contemporain/
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