Le mot de la semaine

« Regardez-y de près, et vous verrez que le mot liberté est un mot vide de sens ; qu'il n'y a point, et qu'il ne peut y avoir d'êtres libres ; nous ne sommes que ce qui convient à l'ordre général, à l'organisation, à l'éducation et à la chaîne des événements. Voilà ce qui dispose de nous invinciblement [...]. Ce qui nous trompe, c'est la prodigieuse variété de nos actions, jointe à l'habitude que nous avons prise tout en naissant de confondre le volontaire avec le libre. »

Diderot
, Lettre à Landois, 29 juin 1756
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Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir : Prières d'insérer.



Il y a quelques jours, j'ai acheté un extrait de l'essai Le Deuxième Sexe, publié sous le titre de "La femme indépendante" dans la collection Folio 2€. Cette collection est bien pratique, car cela faisait un moment que j'hésitais à acquérir l'ouvrage complet, de peur de ne pas savoir le lire (à cause de ses 1000 pages, ou de sa possible difficulté). Ce fut pour moi une vraie révélation ; le Folio compte plus ou moins 130 pages, je l'ai dévoré en 2/3 heures le jour même. Rassuré donc sur l'accessibilité de l'ouvrage, et stimulé par cette première plongée dans l'essai beauvoirien, je me suis précipité acheter l'ouvrage complet. Il est plus que probable que je lui consacrerai un article détaillé quand j'aurai eu le temps de bien le méditer. Ce qui ne pourra vraisemblablement pas se produire avant les vacances d'été. Mais, ne résistant pas à l'envie de vous donner un avant-goût de ce travail remarquable, j'ai mis la main sur les "prières d'insérer" qui accompagnaient chacun des deux tomes à leur parution, que je publie ici. Cela vous donnera peut-être envie de vous intéresser à cet essai en même temps que moi.

Antisthène Ocyrhoé.



Le DEUXIEME SEXE - I : Les faits et les Mythes.


Voilà des siècles qu'on épilogue pour décider si la femme est inférieure, supérieure à l'homme, ou son égale. "C'est un homme manqué" dit Saint-Thomas ; un "os surnuméraire" renchérit Bossuet ; Michelet l'appelle "l'être relatif". Mais si Ève a été tirée d'un os, Adam naquit d'un paquet de boue ; si le Christ s'est fait homme, c'est peut-être par humilité. Poulain de la Barre nous met en garde : "Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être tenu pour suspect car ils sont à la fois juge et partie. " Avant d'assigner à la Femme son rang, il faudrait savoir qui elle est. "Tota mulier in utero" ; c'est une femelle, disent certains. Mais qu'est-ce au juste qu'une femme ? Est-ce la mante religieuse quand elle dévore ses amants, ou l'ourse léchant maternellement son informe ourson ? D'ailleurs, devant certaines femmes douées comme les autres d'un utérus, les connaisseurs décrètent : ce ne sont pas des femmes.

Plutôt, on serait femme par participation à l'éternel féminin. Est-il sécrété par les ovaires ? ou figé au fond d'un ciel platonicien ? on ne nous le dit pas. On le décrit en termes contradictoires. "L'éternel féminin nous attire vers le haut", dit Goethe. mais Lawrence : "La lune, planète des femmes, nous attire en arrière." La femme est une éternelle enfant et elle est la grande Mère, elle est la souriante Isis, la cruelle Kâli, Ève et Marie, la porte du diable, la porte du ciel, la chair et la grâce, Circé et Béatrice, la poésie et la prose du monde. Elle est tout : c'est trop.

En vérité, il s'agit d'un être humain comme vous et moi. Il s'agit d'une multiplicité d'êtres humains fort divers entre eux. Comparer indéfiniment la Femme à l'Homme est oiseux. Il a paru intéressant de chercher à connaître sa situation concrète telle qu'elle-même l'éprouve. C'est présent, l'ère des grandes polémiques étant close, qu'il sera peut-être possible de faire le point.

Mai 1949.



Le DEUXIEME SEXE - II : L'Expérience vécue.


Il n'y a pas d'éternel féminin : cependant, il y a des femmes ; elles constituent au sein de l'humanité une catégorie distincte dont les conduites, la vision du monde, les problèmes sont singuliers. C'est là un fait qu'il s'agit non de nier mais d'expliquer. Il est évident que les données - physiologiques, économiques, historiques - qui conditionnent l'existence de la femme sont enveloppées dans son expérience : mais elles reçoivent leur signification au sein d'un contexte social ; c'est en prenant sa place dans le monde que la femme se découvre, c'est à sa lumière qu'elle se choisit ; ce qu'on appelle son caractère reflète sa situation. En vérité, on ne naît pas femme : on le devient. Comment s'opère cette évolution, par quels chemins un être humain peut-il être conduit à accepter la mutilation qui implique une telle métamorphose, quelles compensations rencontre l'épouse, la ménagère, la mère dans la condition qui lui est traditionnellement assignée, de quelles mystifications se leurre-t-elle, quelles évasions lui sont permises, c'est ce qu'il faut tenter de décrire. Alors on pourra comprendre à quelles difficultés se heurtent les femmes d'aujourd'hui qui cherchent à atteindre une concrète autonomie mais qui sont encore prises dans les rets du passé. Les mots : mystère, destin, sont de commodes alibis ; mais la femme est forgée par la civilisation ; ses limites, ses défauts, ses malheurs, et l'hostilité qui sépare les deux sexes, c'est l'humanité qui en est responsable ; l'avenir est ouvert et le but de ce livre, c'est de paraître bientôt périmé.

Octobre 1949.

Simone de Beauvoir.

1 trait(s) d'esprit:

Tietie007 a dit…

Simone, philosophe et libertine, arracha les femmes de leur soumission séculaire.